Communiqué de presse – 21/06/2022
Les difficultés vécues par certains producteurs, AMAP ou magasins en circuits courts ont souvent été généralisées comme des indices du déclin de ces modes de vente. Une enquête menée par le RMT alimentation locale auprès de plusieurs centaines d’acteurs révèle une réalité plus nuancée avec, par rapport à 2019, autant de hausses des ventes que de baisses. Elle montre que les évolutions vécues par les uns et les autres résultent de causes multiples et non d’une cause unique, et que la crise de la Covid–19 continue à redistribuer les cartes, dans les territoires comme dans le secteur de la distribution alimentaire.
La presse se fait l’écho de difficultés vécues par des producteurs en vente directe ou bien de points de vente en circuits courts, difficultés qui vont jusqu’à des fermetures de magasins ou des licenciements. Certains en concluent que l’attractivité des circuits courts s’érode et qu’ils ne représentaient finalement qu’un phénomène de mode qui arrive aujourd’hui à son terme. Pourtant, dans le même temps, nombre de magasins, supermarchés en tête, mettent en avant leur engagement pour une origine locale des produits et en font un argument publicitaire.
Face à ces observations apparemment contradictoires, le Réseau Mixte Technologique Alimentation Locale (Réseau d’acteurs de la recherche, du développement agricole et rural et de la formation, agréé par le Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire depuis 2015 et soutenu par le CASDAR (Compte d’affectation spécial pour le développement agricole et rural) a voulu éclairer le débat en recueillant des informations auprès des acteurs directement concernés. Une enquête en ligne a été lancée, avec 5 questionnaires différents afin de croiser les données : vers les producteurs, les consommateurs, les accompagnateurs de circuits courts, les professionnels de l’alimentation (artisans, transformateurs…) et enfin les points de vente en circuits courts. Plus de 800 réponses ont été recueillies et traitées, illustrant l’ensemble des modes de
vente : vente à la ferme, magasins de producteurs, marchés, AMAP, boucheries s’approvisionnant directement auprès de producteurs pour une partie de leur gamme, plateforme de commande en ligne en circuit court…
L’analyse des informations recueillies amène à 6 grands résultats :
1. Il n’y a pas de baisse généralisée des ventes en circuits courts, par rapport à la situation d’avant–crise. Si 4 points de vente sur 10 ont connu une baisse de leurs ventes, 4 sur 10 observent une hausse, tandis que 2 sur 10 ont un chiffre d’affaires équivalent. Au niveau des producteurs en circuits courts (344 réponses), le chiffre d’affaires est le même qu’en 2019 pour plus de la moitié d’entre eux, en hausse pour plus d’un quart, en baisse pour moins d’un quart. La tendance générale est donc à l’augmentation par rapport à avant la crise Covid ;
2. Les baisses de vente ne concernent pas certains produits en particulier, même si les produits frais semblent moins touchés, ni certains modes de vente, même si les marchés et les ventes à la ferme paraissent moins affectés, ni même certains types de territoires (urbain ou rural). Ce sont davantage les conditions locales qui permettent de comprendre les variations. A l’échelle d’un territoire, la simple ouverture d’un nouveau magasin de producteurs peut bousculer les pratiques d’achat ;
3. Les baisses de vente ne relèvent pas d’une cause unique. Différentes explications sont mises en avant par les répondants et l’analyse globale confirme qu’aucun facteur en particulier ne caractérise les points de vente ou producteurs en difficulté. Les causes sont multiples ;
4. Les consommateurs ont bien modifié leurs achats en circuits courts depuis le début de la crise. Ceux qui consommaient déjà dans ces circuits avant la crise ont souvent augmenté leurs dépenses, d’autres, nouveaux venus, ne sont pas forcément restés, ce qui contribue à expliquer certaines baisses de vente. De plus, localement, des consommateurs ont pu changer de circuit court, préférant désormais un circuit plus près de chez eux ou plus pratique par exemple : certains circuits gagnent des clients, d’autres en perdent,
5. Il n’y a pas contradiction entre les difficultés vécues par certains producteurs ou magasins et la demande persistante en produits locaux. De nouveaux circuits courts (Un circuit court est défini officiellement en France comme un mode de vente mobilisant, au plus, un intermédiaire entre producteur et consommateur. Cet intermédiaire peut être un magasin, une boucherie, un supermarché, etc. Un produit en circuit court n’est pas forcément local, à l’inverse, un produit local n’est pas forcément issu d’un circuit court) sont nés pendant la crise et les produits présentés comme locaux – pas forcément issus d’un circuit court – ont progressé dans les rayons des supermarchés. Un point de vente qui captait auparavant toute la demande doit partager sa clientèle avec un nouvel arrivant ou avec le supermarché d’à côté. Évaluer ce qui se passe au niveau d’un territoire suppose de cumuler l’ensemble des évolutions, en restant attentif aux types de circuits.
6. Les difficultés sont souvent liées à des anticipations trop optimistes. Les points de vente en difficulté signalent fréquemment avoir pensé que la demande très forte pendant le premier confinement (Résultat d’une grande enquête menée au printemps 2020 par des membres du RMT Alimentation locale. Voir Chiffoleau Y., Darrot C., Maréchal G. (eds), 2020. Manger au temps du coronavirus. Enquête sur nos systèmes alimentaires. Editions Apogée. Voir aussi : COVID-19 et Alimentation | RMT AL (rmt-alimentation-locale.org) allait durer. Pour y répondre au mieux, ils ont investi, par des embauches ou des équipements. Une demande stagnante depuis quelques mois, alors que les frais de structure augmentent, suffit à créer un sentiment de menace, voire à mettre certains en difficulté économique.
En résumé, l’enquête procure plusieurs enseignements importants : l’intérêt pour les circuits courts reste important ; cela n’empêche pas certains producteurs ou magasins d’avoir des difficultés économiques et d’être déçus que la forte demande lors du premier confinement n’ait pas perduré ; les conditions locales sont une donnée clé pour comprendre les évolutions ; la crise a suscité de nouvelles concurrences, entre les circuits courts et avec des circuits longs valorisant des produits présentés comme locaux.
Le RMT Alimentation locale s’appuie sur ces résultats pour aider les acteurs des circuits courts à conforter leurs situations ou bien trouver des solutions, dans un contexte qui évolue encore avec la guerre en Ukraine. La démarche est à la fois de faciliter les échanges d’expériences mais aussi le dialogue avec les collectivités, dans le cadre des Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) en particulier.
Auteurs de l’enquête : G. Akermann (INRAE), A–C. Brit (FR CIVAM Bretagne), Y. Chiffoleau (INRAE), C.
Darrot (Institut Agro), Y. Deroche (INRAE), D. Guennoc (Terralim), G. Maréchal (FR CIVAM Bretagne), L.
Petitzon (APCA), A. Ugaglia (Bordeaux Sciences Agro), F. Wallet (INRAE).
Contacts : Yentl Deroche (INRAE, chef de projet) : yentl.deroche@inrae.fr
Yuna Chiffoleau (INRAE) : yuna.chiffoleau@inrae.fr
RMT Alimentation Locale : contact@rmt–alimentation–locale.org
Le Réseau Mixte Technologique (RMT) Alimentation locale www.rmt–alimentation–locale.org s’attache à comprendre les dynamiques de l’alimentation locale et des circuits alimentaires courts de proximité. En réunissant des acteurs de la recherche, de la formation et du développement, il vise à fournir à la fois des éléments de réponse et des outils aux producteurs et aux organismes qui les accompagnent, aux collectivités, aux associations…, sans oublier les lycées agricoles.
Dernière modification de cet article : 12 septembre 2024